Ximena a été récompensée pour l’ensemble de son parcours lors de l’édition 2023 du Prix Fem’Energia, catégorie femmes en activité, nous vous invitons à découvrir son parcours.

Ximena pouvez-vous nous résumer votre parcours scolaire et étudiant et expliquez-nous votre choix d’orientation ?

Je suis d’origine chilienne, mais pendant mon enfance j’ai souvent changé de pays en raison du métier de mon père. J’ai vécu en Suisse, en France, au Liban, en Inde et en Thaïlande. Comme mes six premières années se sont déroulées à Genève et à Paris, mes parents, très francophiles, ont décidé de me faire suivre toute ma scolarité dans des écoles françaises à l’étranger. Cela m’a permis d’avoir une double culture franco-chilienne. Ces voyages m’ont également donné le goût de découvrir d’autres cultures.

Le droit a été un choix naturel. Voyant ma passion pour la lecture, l’écriture et l’histoire, ainsi que l’intérêt que je portais au fonctionnement des différentes sociétés qu’on a eu la chance de découvrir, mon père, qui avait fait des études de droit, m’a suggéré de m’y inscrire. Je suis rentrée à Paris II-Assas en juin 1986, puis je suis partie en mars 1987 au Chili faire deux ans de droit (l’année universitaire dans l’hémisphère sud commence en mars), pour finalement revenir à Paris, où j’ai dû recommencer de zéro, car mes deux années passées au Chili n’étaient pas reconnues. J’ai étudié tout en travaillant en cabinet comme secrétaire de nuit, ce qui m’a permis de fréquenter des avocats pendant mes études. J’ai obtenu un Master 1 en droit privé et un autre en droit international et européen, ainsi qu’un DEA (Master 2) en droit international, option droit international privé et commerce international.

Une fois diplômée, je me suis inscrite en doctorat, mais j’ai rapidement laissé les études pour trouver un poste dans une direction juridique internationale afin d’avoir l’opportunité de travailler sur des projets à l’étranger, de continuer à voyager et d’utiliser mes langues.

Où et comment avez-vous débuté votre parcours professionnel ?

J’ai eu mon premier emploi de juriste international à la Compagnie Générale des Eaux (maintenant Veolia Water) en 1997 où je suis restée six ans. Ce poste m’a permis de travailler sur des projets dans tous les continents, ce qui impliquait travailler avec les équipes et les avocats locaux ; négocier avec les partenaires, clients ou sous-traitants ; travailler en équipe avec le commercial, le technicien et le financier ; faire des analyses de risques et des rapports pour la direction générale ; et beaucoup voyager. J’étais aussi ravie de travailler dans ce secteur. L’eau est indispensable à la vie et il y a des enjeux géopolitiques majeurs sur l’utilisation des différentes sources. A côté des grands contrats commerciaux, je faisais également des projets financés par la Banque Mondiale, pour apporter de l’eau à des communautés qui n’en avaient pas les moyens.

En raison de l’expérience acquise sur un projet chinois, j’ai ensuite été embauchée par EDF pour partir en tant qu’expatriée à Pékin en juin 2003. Je suis partie avec mon mari et mon fils, et j’ai eu ma fille là-bas. J’ai travaillé avec l’équipe sur place sur différents projets, dont un projet thermique conventionnel assez emblématique (Laibin B, pour ceux qui connaissent). C’est à ce poste que j’ai découvert le nucléaire. J’ai travaillé au début sur des contrats de transferts de technologies et d’assistance technique, ce qui m’a permis de découvrir les aspects techniques ainsi que la complexité du droit nucléaire. J’ai par la suite travaillé sur l’acquisition par EDF des 30% de la société qui détient et exploite Taishan, l’EPR chinois. Un projet qui a demandé une grande préparation à toute l’équipe et une longue période de négociation très intense. Ces six années chez EDF m’ont permis d’intégrer la grande « famille du nucléaire » et ont été extrêmement enrichissantes. J’ai découvert ce qu’était le droit nucléaire en travaillant sur les dossiers. Je suis une « autodidacte du droit nucléaire », comme la plupart des juristes de mon époque.

Et aujourd’hui que faites-vous ?

Aujourd’hui, je suis Avocate/Counsel chez White & Case LLP (cabinet international d’avocats d’affaires). Au sein de ce cabinet où nous conseillons tous types de clients (des gouvernements, des exploitants, des fournisseurs, des start-ups, des institutions financières ou des assureurs) sur toute question juridique concernant des projets électronucléaires, qu’ils soient en développement, exploitation ou démantèlement. Je peux moi-même travailler sur les différentes phases d’un projet, car j’ai pu acquérir pas mal d’expérience dans ce domaines ces vingt dernières années. Je m’occupe également de coordonner les activités concernant le secteur électronucléaire des 44 bureaux du cabinet, répartis dans 30 pays.

Je suis également très active dans la promotion de l’énergie nucléaire. J’ai toujours été convaincue que cette énergie allait faire un retour retentissant, vu le besoin exponentiel en énergie et les dégâts des énergies fossiles, de la pollution atmosphérique (gros sujet à Pékin pendant mon séjour là-bas).

Je participe à plusieurs groupes de travail de la World Nuclear Association, dont le groupe Economics, Law and Finance. Je suis la présidente du groupe qui a pour objectif de mettre en contact le monde du nucléaire et les industries énergivores afin de leur faire découvrir les petits réacteurs nucléaires pour les aider à décarboner leurs activités : the End Energy Users Panel.

Je suis aussi en contact avec nucleareurope, l’association qui représente l’industrie nucléaire européenne, avec qui j’ai eu le plaisir d’organiser une journée sur le financement des petits réacteurs afin d’aider à leur déploiement dans l’Union européenne.  Cette journée a permis au secteur nucléaire et aux institutions financières de commencer un dialogue pour trouver des approches de financement innovantes, que ce soit pour développer ces nouvelles technologies ou des projets.

Je suis membre de l’Association Internationale de Droit Nucléaire (AIDN) que j’ai découvert en 2009. Cette association, qui existe depuis 1970, permet aux juristes nucléaires de discuter de divers sujets (nous avons huit groupes de travail) et de former de nouveaux juristes. L’AIDN a de nombreuses branches nationales, dont une en France, et des congrès sont organisés tous les deux ans. Le prochain congrès aura lieu à Varsovie, en Pologne, du 3 au 7 novembre 2024.

Je co-préside, depuis 2012, le groupe de travail de l’Association sur la Responsabilité civile et les assurances nucléaires. J’ai découvert la responsabilité civile nucléaire par le prisme du fournisseur, puis de l’exploitant et enfin des gouvernements, quand j’ai travaillé à l’Agence de l’OCDE pour l’énergie nucléaire (AEN). La responsabilité civile nucléaire est un régime spécial qui a été mis en place au début de l’industrie électronucléaire pour protéger les victimes potentielles d’un accident en leur assurant une réparation adéquate dans le cas où elle subirait des « dommages nucléaires » (ceux causés par la radiation), en identifiant un seul responsable pour ces dommages (l’exploitant de l’installation nucléaire de base) et en s’assurant qu’une garantie financière adéquate serait disponible pour couvrir la responsabilité de ce dernier. Ce régime vise également à ne pas faire subir aux exploitants et à tous ceux qui auront été associés à la construction, l’exploitation et le démantèlement d’un réacteur, une responsabilité qui les détournerait de cette industrie. Le cadre juridique en matière de responsabilité civile nucléaire est assez complexe, notamment quand il s’agit d’assurer des transports transfrontaliers de substances radioactives. C’est un sujet que je trouve passionnant et sur lequel je me suis penchée ces vingt dernières années. Pendant mes onze années à l’AEN, j’ai eu le plaisir de travailler avec les gouvernements sur ces questions et notamment sur l’amélioration des procédures de traitement des réclamations après un accident majeur, comme celui de Fukushima. C’est un sujet qui intéresse toutes les parties concernées par un projet nucléaire, le public en premier : qui est responsable en cas d’accident et pour quel montant ? La réponse varie en fonction des pays, notamment s’ils ont ou pas ratifié au moins une des conventions internationales qui s’appliquerait dans ce cas. 

Enfin, je suis devenue membre de la Société française d’énergie nucléaire et de WiN France en 2022 et j’espère pouvoir y contribuer également.

Pouvez-vous nous décrire votre secteur d’activité actuel

Au sein du cabinet d’avocats international, White & Case, nous conseillons différents acteurs du nucléaire (tels que les gouvernements, les investisseurs, les exploitants, les vendeurs et les fournisseurs) pour, entre autres, développer et structurer leurs projets, trouver des solutions financières innovantes, évaluer le cadre réglementaire et juridique, concevoir les contrats commerciaux pertinents, et les représenter dans des litiges et des arbitrages.

Les projets nucléaires sont extrêmement complexes, non seulement à cause de la technologie mais aussi à cause du cadre réglementaire et juridique applicables afin d’en assurer la sûreté et la sécurité. Ce cadre a évolué dans le temps. Les projets d’aujourd’hui ne seront pas développés comme ceux qui l’ont été avant Tchernobyl. Par exemple, la participation du public est aujourd’hui un droit, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Dans un avenir proche, il faudra non seulement tripler la capacité nucléaire dans le mixte énergétique, mais il faudra également développer un certain nombre de transactions « inédites », telles que la structuration de nouveaux programmes de financement, le développement de petits réacteurs et l’adaptation des cadres règlementaires et juridiques à ces nouvelles technologies, notamment en vue de leur utilisation pour décarboner les industries énergivores. Répondre à ces nouveaux défis est une aventure industrielle et juridique extraordinaire.

Quelle est la proportion de femme dans secteur d’activité ?

Il y a beaucoup de femmes dans les professions juridiques. Cependant, le secteur du nucléaire a du mal à attirer des jeunes. Pendant de nombreuses années, le nucléaire faisait partie des énergies du passé et les jeunes n’y voyaient pas d’avenir. Maintenant qu’à la COP28 l’énergie nucléaire est considérée comme faisant partie des énergies bas carbone qui peuvent aider contre le réchauffement climatique, en plus d’assurer l’indépendance énergétique des pays, leur perception va sûrement changer. Il faudrait informer les jeunes des possibilités qui s’ouvrent à eux dans le secteur et les former au droit nucléaire.

Par quoi êtes-vous passionnée ?

Ma réponse va être un peu banale, mais je suis passionnée par mon travail. J’ai toujours été certaine que nous allions avoir besoin de l’énergie nucléaire et le temps est enfin arrivé. Cette activité industrielle est l’une des plus règlementée qui existe et c’est pour cela qu’en plus de 70 ans, il n’y a eu que trois accidents majeurs :Tchernobyl et Fukushima (niveau 7 sur l’échelle INES – International Nuclear Event Scale, en 1986 et 2011 respectivement), et Kyshtym (niveau 6, en 1957).[1] Et à chaque fois, l’industrie nucléaire a appris de ces évènements, et le cadre juridique a été renforcé. Je m’informe de toutes les évolutions législatives qui peuvent être adoptées de par le monde, des nouveautés dans le secteur, des changements de position politique … En ce moment, il y a quelque chose de nouveau tous les jours. C’est absolument passionnant de voir comment le secteur s’est réveillé et est en pleine ébullition. Je trouve qu’il y a une grande énergie, de nombreuses innovations, de la coopération et des échanges internationaux, et ainsi de l’espoir pour combattre le réchauffement climatique.

Ce qui est clair, c’est que lorsque je propose de former les gens au droit nucléaire, il y a maintenant un très grand intérêt. Il faut absolument que les « anciens » forment de jeunes juristes pour leur donner les outils nécessaires pour accompagner ce renouveau du nucléaire. Il est essentiel pour ces derniers d’appréhender l’histoire du droit nucléaire pour comprendre l’objectif qui a été recherché avec chaque convention internationale, chaque loi ou règlement et chacune de leurs modifications. Rien n’a été rédigé par hasard.

Existe-t-il une femme qui vous inspire ou vous a inspiré ?

Pendant mon parcours professionnel j’ai rencontré beaucoup de femmes qui ont fait leur chemin dans des secteurs qui n’en avaient pas beaucoup. Je suis très admirative de celles qui ont dû évoluer dans des milieux éminemment masculins et se faire une place ; j’ai beaucoup appris d’elles. C’était notamment le cas de ma première cheffe, qui m’a également appris l’importance de l’esprit d’équipe.

Quels conseils donneriez-vous à une jeune femme qui souhaiterait travailler dans votre domaine d’activité ?

Je lui dirais de ne pas hésiter, que ça va être une aventure professionnelle passionnante. En ce moment le secteur recrute. La filière nucléaire veut recruter de 10 000 à 15 000 personnes par an jusqu’en 2030. Pour faire tous les projets qui sont prévus, il va falloir recruter des juristes aussi !

Pour celles qui sont à l’université, je leur dirais que le secteur du nucléaire aura besoin de toutes les spécialités du droit : droit du travail, de la propriété industrielle, des contrats, droit public… Cependant, si elles souhaitent travailler sur des projets de construction de réacteurs, je leur recommanderais de s’intéresser à une ou plusieurs de ces matières : droit public, droit de l’environnement, droit des contrats, droit international privé ou public, droit des énergies (si la formation couvre également le droit nucléaire).

Comment avez-vous connu WiN France ?

J’ai connu WiN Global et WiN France quand je travaillais à l’Agence de l’OCDE pour l’énergie nucléaire, car l’AEN a un programme sur la promotion des femmes dans le secteur nucléaire. Cependant, je n’ai pu en devenir membre que fin 2022, lorsque j’ai intégré mon cabinet. Depuis, je participe avec plaisir aux réunions de WiN France et j’espère pouvoir contribuer pour attirer des juristes et des avocates vers le nucléaire.

Quel rôle pour les réseaux « de femmes » ? Un avis, un engagement ?

Je pense que les réseaux « de femmes » sont importants. Nous avons fait du chemin, mais les femmes doivent être plus présentes à tous les niveaux des entreprises.

Je pense qu’il est essentiel d’aider les jeunes dans leurs carrières et à trouver un équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. Cependant, la « vieille » génération a également beaucoup à apprendre des plus jeunes. Les réseaux « de femmes » leur permettent d’échanger afin de faire évoluer tout le monde dans la bonne direction.


[1] Pour plus d’informations sur les accidents survenus dans le secteur nucléaire, voir Accidents Nucléaires et Evolutions de la Sûreté et de la Radioprotection, Les Cahiers Historiques de l’ASN #01, Novembre 2023.

Propos recueillis par Cécile Bernard et Anne-Marie Birac

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