Lucile dirige depuis un peu plus de cinq ans le laboratoire de datation Carbone 14 à Saclay

Lucile pouvez-vous nous résumer votre parcours scolaire et étudiant.

Mon parcours est assez atypique, je souhaitais rentrer rapidement dans la vie professionnelle mais finalement, j’ai fait de longues études jusqu’à l’obtention d’une thèse.

Après un bac de technicien chimiste à Paris, j’ai poursuivi avec un DEUG, puis une licence et une maitrise Sciences Physiques à l’université d’Orsay et enfin DESS à Bordeaux en méthodes physiques et chimiques pour l’archéologie. Un CAPES physique et chimie réussi plus tard, j’ai soutenu une thèse à Orléans au CNRS en méthodes nucléaires appliquées à l’archéologie où j’ai rencontré « mon » premier accélérateur de particules. Je tiens à souligner que lorsque j’ai débuté mes études supérieures, je ne savais pas ce qu’était une thèse. Je me suis décidée au feeling et mon appréhension pour les classes préparatoires a fait le reste, me faisant choisir la fac, qui me paraissait plus accessible.

 

Après votre soutenance de thèse vous débutez votre parcours professionnel,

oui j’ai été embauchée juste après ma thèse il y a bientôt trente ans, au CEA à la direction des applications militaires où je mets en œuvre mes compétences en spectroscopie X et gamma. Depuis j’ai changé tous les 4 ou 5 ans de poste. Une constante : il y a toujours eu un accélérateur dans les parages. Tour à tour j’ai travaillé sur le Synchrotron Super ACO d’Orsay, au LSCE (laboratoire des sciences du climat et de l’environnement) sur le campus de Gif, à INSTN Saclay où j’ai enseigné sur un accélérateur Van de Graaff. J’ai été mise à disposition du centre de recherche et restauration des musées de France à Paris (au Louvre) dans l’équipe de l’accélérateur AGLAE. J’ai ensuite pris la responsabilité à la direction de l’énergie nucléaire du laboratoire JANNUS. J’ai donc évolué en prenant des responsabilités mais tout en restant proche du terrain et impliquée dans des travaux de recherche.

 

En quoi les méthodes nucléaires sont-elles utiles pour la connaissance et la sauvegarde du patrimoine ?

Les spectres que nous produisons grâce aux accélérateurs sont obtenus de manière non destructive. Ils nous permettent, en analysant les impuretés présentes dans les matériaux plus ou moins anciens, de déterminer l’origine des constituants, de découvrir des secrets de fabrication, etc.

La méthode de datation au carbone 14 est une méthode destructive mais les échantillons de matière à prélever sont de plus en plus petits, la sensibilité des méthodes ayant augmenté au fil du temps grâce aux perfectionnements des  spectromètres de masse par accélérateur.

Lucile, pourriez-vous nous faire découvrir votre laboratoire ?

J’évolue dans le monde de la recherche. Nos travaux sont à dominante appliquée mais une part de recherche plus fondamentale est présente.

Nous développons des techniques pour l’archéologie, la paléoclimatologie, les musées, les environnements naturels mais aussi la surveillance de l’environnement autour des CNPE (mesure de C14).

Notre laboratoire a une vocation de prestataire de service : 80% du temps machine y sont consacrés, le reste étant dédié à la recherche dont une partie est menée en collaboration avec, par exemple, l’institut Français d’archéologie orientale ou le ministère de la Culture, l’institut national des sciences de l’univers du CNRS, le musée du Louvre ou le British Museum.

Nous sommes onze permanents – un post doc, un apprenti, six femmes sur onze. Les postes sont assez bien répartis, à part l’équipe de l’accélérateur composée de trois hommes comme souvent autour des machines de physique.nt. Nos ressources financières proviennent pour l’essentiel des prestations de services réalisées pour CNRS, CEA, l’IRSN, l’IRD (institut de recherche pour le développement) et le Ministère de la Culture.

Chercheuse, une vocation ?

Oui, il s’agit d’un constat à postériori, la recherche est devenue une passion dès que j’ai commencé mes travaux de préparation de thèse.

La recherche est, pour moi, nourrie par la curiosité, la soif de connaissance et le goût de la transmission

Pouvez-vous précisez en quoi la transmission est importante à vos yeux ?

Cette transmission prend différentes formes.

L’enseignement, que j’ai exercé pendant 12 ans à l’INSTN. C’est aussi l’encadrement d’apprentis, de stagiaires de masters, de thèses et de post-docs et l’intégration des jeunes collègues dans les équipes.,

Mais j’aime aussi transmettre à un public plus large : WiN France à Avignon, il y a quelques années, la société française de physique, l’amicale des ingénieurs aéronautiques, les amis du Visiatome, l’Université de tous les savoirs. J’ai aussi fait des présentations dans des lycées. J’ai également été responsable du stage pour les professeurs de physique/chimie organisé tous les anspar l’INSTN.

Par quoi êtes-vous passionnée ?

J’ai la grande chance de pouvoir appliquer mes compétences scientifiques et techniques à l’art et l’archéologie. Pour mener à bien mes recherches successives, il est indispensable d’approfondir les aspects « archéologique, artistique et historique» pour maîtriser le contexte ou les techniques de fabrication anciennes. Je peux ainsi explorer le temps et l’espace des travaux sur la préhistoire (analyse et la datation des pigments des grottes de Rouffignac et Villars en Dordogne), l’Egypte et la Grèce anciennes (pour la datation des premiers cosmétiques synthétisés), le Saint-Empire romain germanique (pour l’étude d’un trésor monétaire de plus de 4000 monnaies). Je rencontre historiens, archéologues, conservateurs de musée tout en échangeant au quotidien avec mes collègues physiciens et chimistes pour continuer à faire progresser les techniques.

Existe-t-il une femme qui vous inspire ou vous a inspiré ?

J’ai toujours été attirée par l’exploration et j’ai été marquée par Alexandra David-Néel, mais aussi par Germaine Tillon, ethnologue. Ceci explique peut-être ma passion pour la recherche qui est un immense terrain d’exploration : analyser la matière pour moi, c’est comme explorer le monde qui nous entoure mais tout en restant au sein du labo…

 

Quels conseils donneriez-vous à une jeune femme qui souhaiterait s’orienter vers la recherche ?

Il serait les mêmes pour une jeune femme ou un jeune homme. C’est un engagement exigeant qui nécessite persévérance et ténacité. Il faut savoir que les procédures de recrutement sont lourdes, les concours sont difficiles, c’est un parcours d’obstacles. On peut le regretter, c’est, à mes yeux, très dommageable pour les jeunes qui se découragent et pour la société et la recherche au sens large. Il faut garder confiance en soi car les satisfactions sont nombreuses.

Les échanges avec les autres sont autant d’opportunités de belles rencontres. Ces rencontres sont un moteur essentiel de la naissance d’idées de sujet de recherche. Par exemple, le sujet d’étude sur le faux-monnayage ancien est née d’une discussion informelle lors d’un pot de thèse !

Un conseil très pratique, la maîtrise de l’anglais est indispensable pour pouvoir communiquer à l’International.

Quel rôle pour les réseaux « de femmes » ? Un avis, un engagement ?

Je suis convaincue de leur utilité même si je n’ai pas trouvé le temps de m’engager.

Personnellement, les circonstances ne m’ont jamais amenée à rencontrer de difficultés ou à trop me poser de questions qui seraient liées à ma condition de femme dans la recherche ou de manageur.

Tout au plus, me suis-je interrogée sur la question du code vestimentaire à mes débuts dans un univers strictement masculin, Je peux aussi vous raconter cette anecdote : je partageais mon bureau avec le post-doc que j’encadrais, il y avait un téléphone pour deux : pour les interlocuteurs externes, j’étais forcément son assistante.

Plus sérieusement, il y a 25 ans au retour d’un congé maternité, le RH qui m’a reçu m’a calmement expliqué que je ne pourrais pas avoir d’avancement car « on ne récompense que les présents » ! Il est à noter que le CEA a bien évolué sur cet aspect car maintenant c’est le contraire : un avancement est accordé à la suite d’un congé de maternité.

 

Mais j’ai parfaitement conscience qu’il reste du chemin à faire. J’ai découvert, récemment, médusée et scandalisée, qu’aucune femme n’a jamais reçu, depuis sa création il y a 35 ans, le Grand Prix de la maison de la Chimie !

 

Germaine Tillion :

Germaine Tillion est une résistante, femme de lettres et ethnologue française. Née en 1907 et morte en 2008, elle a été membre active de la Résistance pendant la Seconde guerre mondiale, avant d’être capturée et déportée au camp de Ravensbrück en octobre 1943. Grande spécialiste de l’Algérie, plusieurs fois décorée pour ses actes héroïques, Germaine Tillion est entrée au Panthéon le 27 mai 2015, en même temps que Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Jean Zay et Pierre Brossolette.

Alexandra David-Néel

Louise Eugénie Alexandrine Marie David, plus connue sous le nom d’Alexandra David-Néel, née le 24 octobre 1868 à Saint Mandé, morte à près de 101 ans le 8 septembre 1969 à Digne-les-bains, est une orientaliste,  tibétologue, chanteuse d’opéra et féministe, journaliste et  anarchiste, écrivaine et exploratrice, franc-maçonne et bouddhiste française.  Elle fut, en 1924, la première femme occidentale à atteindre Lhassa, capitale du Tibet, exploit dont les journaux se firent l’écho un an plus tard et qui contribua fortement à sa renommée, en plus de ses qualités personnelles et de son érudition.

Propos recueillis par Cécile Bernard et Anne-Marie Birac

Mars 2021

 

 

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